Ville de Saint-Rémy-sur-Avre

Patrimoine

LES USINES WADDINGTON

Le 16 février 1792, Henry Sykes, citoyen hollandais, négociant diamantaire à Paris, achète à Noël Jelin, fabricant de papier à Saint-Rémy-sur-Avre, son moulin situé au bord de l’Avre. Henry Sykes transforme les lieux en une filature de coton, l’une des premières de France. Elle s’appellera « l’Ancienne ». À côté de l’Ancienne et dans le même temps, en 1795, le nouvel industriel Henry Sykes, crée une fonderie de fonte de fer qui devient une des plus importantes de France. Bientôt, il y adjoint des ateliers de construction de machines à filer qu’il vend en France et à l’étranger. La fonderie cessera ses activités en 1830.

À la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème, la main d’œuvre fait défaut à Saint-Rémy-sur-Avre. Les Ets Waddington font venir des ouvriers de Bretagne : ceux-ci ont laissé une trace inoubliable dans notre commune : les ouvriers étaient bretons, les religieuses, installées en 1929, étaient bretonnes, et même le curé de la paroisse était breton ; sans parler des commerçants….. des bretons !

Henry Sykes marie sa fille, Grace, à un anglais William Waddington qui continue l’œuvre de son beau-père mort en 1813. En 1816 il reçoit de Louis XVIII sa lettre de naturalisation, prévue initialement pour Henry Sykes, pour services rendus à la nation. William Waddington meurt en 1818. L’industrie de la filature de coton prend un certain développement et Frédéric Waddington, qui succède à son père, trouve un débouché facile pour la vente des produits.
Dès 1823, il construit une deuxième filature, toujours à Saint-Rémy-sur-Avre. Ce sera « l’Isle ». Mr Sykes avait acheté à cet effet la ferme de l’Isle avec dépendances à Mr Jacques-Pierre Hequet, cultivateur à Saint-Rémy-sur-Avre. 

Puis, pour tirer un meilleur profit de son industrie, il crée deux usines à tisser le coton, filé dans les usines l’Ancienne et l’Isle. C’est Mocdieu en 1834 à Nonancourt et la Pacqueterie en 1853 à Saint-Lubin-des-Joncherets. En 1887, on y ajoute une teinturerie qui est installée sur un terrain aux abords de l’Isle ainsi que des machines d’apprêts à la Pacqueterie.

Vers 1900, à leur apogée, les usines possèdent 943 métiers à tisser, utilisant 44 720 broches de filature et 1 620 broches de retordage. 1 170 ouvriers et ouvrières y travaillent.

En 1862, Napoléon décide de capter les eaux de rivières et de leurs sources situées aux alentours de Paris et à partir de 1892, la ligne des eaux de l’Avre est mise en place. Les filatures et usines ne pouvant plus fonctionner à la force hydraulique, Waddington décide l’installation de générateurs de vapeur alimentés par le charbon ce qui met en mouvement les machines des ateliers et fournit en électricité chaque usine par l’emploi de la dynamo.
Le coton brut utilisé dans les deux filatures à l’Ancienne et à l’Isle vient des Indes et d’Amérique par les ports du Havre et de Rouen. Il est livré sous forme de balles de coton d’1m3. Le coton passe d’abord dans des machines qui l’ouvrent grossièrement, puis dans des batteuses et ouvreuses où il est nettoyé aussi complètement que possible. Il passe ensuite aux cardes où il subit un nettoyage complet et où les fibres sont parallélisées. Il est porté enfin aux machines à étirer, qui le préparent pour le métier à filer où il est mis en broche.

Les broches, sous forme de bobines, sont expédiées alors aux usines de tissage, Mocdieu et la Pacqueterie, par charrettes à cheval et également sur des bateaux plats qui font la navette entre les usines. Les bobines sont placées sur une machine appelée ourdissoir, utilisée pour peigner le fil qui passe ensuite sur une machine à encoller. Les fils sont alors enduits d’une gaine de colle qui leur permet de résister à la fatigue du métier à tisser, où ils se croisent et sont reliés entre eux par une navette qui fait le va-et-vient d’un bout à l’autre du métier. En sortie, la toile est tissée.

Les œuvres sociales
La dynastie paternaliste de la famille Waddington a profondément marqué de son empreinte la cité rémoise et son mode de vie jusqu’à la guerre 1914-1918. Cette famille demeurait au château de Saint-Rémy. 

En 1872, les Établissements Waddington créent une crèche et une école enfantine qui permettent aux mères de famille de travailler, ainsi il n’y a pas de perte ni de travail ni de main-d’œuvre. Il y sera, plus tard, adjoint un dispensaire où des soins sont donnés, assurés par une infirmière sous une surveillance médicale.

Les ouvriers sont logés dans des pavillons construits à Saint-Rémy et Nonancourt par les Ets Waddington qui achètent aussi un grand nombre de maisons, notamment à Saint-Lubin-des-Joncherets. La location y est dérisoire, moyen de pression pourtant sur l’ouvrier qui, s’il veut quitter l’usine, perd son logement.

Une société de secours mutuels a été créée par les Ets Waddington pour les ouvriers des quatre usines, qui doivent obligatoirement en faire partie, sous peine de perdre leur emploi, mesure qui s’est assouplie par la suite.
En 1894, création d’une harmonie composée au fil des ans de 95 exécutants, qui acquiert une grande réputation régionale et participe à de nombreux concours de musique très en vogue jusque dans les années 30. Des concerts sont donnés, parfois le dimanche, aux gens de Saint-Rémy, au kiosque dans les jardins de l’Isle.

Devant l’usine de l’Isle, on établit deux terrains de football et une piste pour les athlètes. Tout à côté, on construit le vestiaire pour eux et une salle des fêtes pour les gens de l’usine.

Il y avait même une caisse de retraite, mais combien d’ouvriers et d’ouvrières en ont bénéficié à 65 ans, quand ils ne mouraient pas en chemin ?

Devant ces avantages offerts aux ouvriers, l’analyse peut permettre de dire que, si ces œuvres sociales « avant la lettre » étaient intéressantes pour la classe ouvrière, elles n’étaient pas non plus désintéressées. Elles étaient mal, ou peu comprises, car elles étaient imposées et contraignantes, jamais discutées avec ceux à qui elles s’appliquaient.

En matière « d’œuvres sociales », il est un énorme oubli qu’il faut mettre en exergue : l’illettrisme des ouvriers et ouvrières. Apprendre à lire, à écrire, à compter, c’est sans aucun doute élever le niveau social, ouvrir des horizons, donner des possibilités d’ouverture d’esprit, donc de mieux entendre, de mieux comprendre, mais la contrepartie est évidente : apprendre, chez l’ouvrier, c’est aussi se défendre, lui et ses droits… Pourtant, vers la fin du XIXème siècle, l’enfant embauché à 11-12 ans a la possibilité de recevoir un enseignement scolaire, mais après une dure journée de travail de 10 à 12 heures, la classe est peu fréquentée. Comme l’est la bibliothèque composée d’environ 2000 volumes à la disposition des adultes.

Les crises et leurs conséquences
Le paternalisme a eu sur le moment des côtés positifs, mais avec ses moyens de pression, fatalement des problèmes naissent. En conséquence parfois, la révolte gronde. C’est ainsi qu’en 1848, pendant la révolution qui agite la capitale, des ouvriers s’emparent du patron Waddington d’alors et décident de le pendre ; il ne doit son salut qu’à l’astuce et à la bonne volonté d’autres ouvriers qui l’enlèvent et le cachent tout le temps des troubles.

Puis  vient 1929, le temps de la grande crise mondiale. Ensuite, en 1936, le Front Populaire avec les grèves. La crise industrielle suit la crise mondiale. Après des erreurs de gestion, n’ayant pu suivre l’évolution technique et lutter contre la concurrence internationale, les Ets Waddington sombrent l’un après l’autre.

De 1939 à 1954, les filatures et les tissages sont vendus à d’autres entreprises, qui continuent avec plus ou moins de bonheur et de facilité, à assurer du travail aux gens de la vallée d’Avre : les établissements Rémy occupent l’Ancienne, les établissements Abott, puis Famar et récemment Delpharm, se sont établis à l’Isle, l’entreprise Rubbéria s’installe à Mocdieu et la commune de Saint-Lubin-des-Joncherets a acheté la Pacqueterie.